La mémoire sociale n’est que la trame d’une pluralité des récits d’un passé transmis au présent, récits des gagnants, des vaincus, récits consensuels, conflictuels, récits produits dans une tension et une lutte nécessaires et permanentes pour l’établissement d’une (des) mémoire(s) parfois juste(s), parfois mensongère(s) toujours inachevée(s).

Ces récits constituent un langage complexe qui articule différentes conceptions du passé, des subjectivités irréductibles et/ou mouvantes, des temporalités singulières et collectives, les traces des violences, des combats et des fêtes dans la ville, des voix et des cris ensevelis qui attendent une archéologie et une écoute, des oublis vitaux mais aussi des silences traîtres ; les souvenirs d’autrefois ou d’avant-hier des pratiques sociales, des lieux et des objets remémorés parfois d’une manière subreptice et presque inconsciente, parfois d’une manière publique dans des rites, dans des commémorations, dans les simples gestes de la vie quotidienne, loin de la grande histoire ou tout près des événements.

Cet atelier cherche à explorer d’une manière critique cette trame multiple et polyphonique souvent tumultueuse, il cherche surtout à faire comprendre que la mémoire sociale fait partie des processus sociaux et qu’elle elle est constitutive de ces processus sociaux.
Ce sont les espaces et les lieux de la ville qui constitueront le terrain, les supports et les déclencheurs d’une manière de faire l’histoire qui s’appuie sur une réflexion sur la mémoire sociale et les conditions de sa production afin de comprendre sa nécessité pour la construction d’un temps présent ouvert à la critique, dans un monde commun, malgré les différences et les désaccords, un monde conflictuel mais toujours ouvert à la découverte de nouveaux sens et de nouveaux horizons.

Cet atelier fera appel à cette partie « grise » de la production de connaissance dans les sciences sociales que sont les méthodes qualitatives et particulièrement la démarche ethnographique alliée à l’histoire orale. Il s’agira de comprendre les différents "moments", les activités simultanées ou successives et les différentes techniques, jamais neutres ni décontextualisées, impliquées (la conversation ethnographique, l’observation, le récit de vie, la réflexivité etc.) d’une recherche associée à la récupération et production de la mémoire individuelle, collective et sociale.

Il s’agira surtout de dépasser une représentation normative et objectiviste de la recherche où le chercheur ne considère ses interlocuteurs que comme de simples fournisseurs d’information, un chercheur qui s’efface derrière les faits qu’il observe, écoute, décrit et écrit, pour laisser place à une recherche où le chercheur et ses interlocuteurs, entrelacés dans un dialogue réflexif, sont présents, engagés, situés dans des réalités sociales, historiques, politiques, économiques et institutionnelles.

Claudia Girola, Maître de Conférences de Sociologie à l’Université Paris-Diderot, Paris 7
Numa Murard, Professeur émérite de sociologie à l’Université Paris Diderot, Paris 7